Par Daniel Minssen
L'approche
Le soleil cogne ! Il fait très chaud en cette fin février. Nous gravissons les quelques kilomètres qui nous séparent encore du sommet du Hòn Bà. Nous avons dû abandonner voiture et chauffeur au pied de l'éboulement qui nous a brusquement stoppés. Après avoir escaladé sur une centaine de mètres l'énorme accumulation de terre, rochers et troncs d'arbres qui barrent la route, notre guide-interprète, mon épouse et moi avons mis sac au dos et attaqué les derniers lacets.
Encore un virage puis nous entendons l'aboiement d'un chien ! Les lieux seraient-ils habités ?
Nous voici au sommet et le chalet nous apparaît, en contre-jour sur le ciel éblouissant. Il est comme je l'ai déjà vu sur des photos. C'est une reconstitution, nous le savons, mais réalisée à l'identique de l'original. Sur le fronton, nous pouvons lire, réalisée en grandes lettres de bois, l'inscription "ALEXANDRE YERSIN" précédée de quelques mots de vietnamien.
Sur le seuil de la bâtisse, un militaire nous accueille. Nous apprenons que le chalet est occupé en permanence par des gardes-chasse, le site ayant été classé Réserve Naturelle de faune et de flore. Les gardes descendent périodiquement en moto jusqu'à l'éboulis pour se réapprovisionner en nourriture, se procurer le courrier ainsi que des accumulateurs chargés qui sont apportés à leur intention.
De temps en temps ils partent, fusil à l'épaule et jumelles en bandoulière, se poster sur des points de vues pour repérer d'éventuelles fumées révélatrices de braconniers !
A la suite de notre hôte, nous visitons les lieux. Au-dessus d'une porte se dresse un petit autel fleuri dédié à Yersin. Au premier étage, dans la grande pièce de séjour, il nous est offert le thé vert de bienvenue. Sur une grande étagère, encore un portrait du célèbre docteur, mais entouré de … brosses à dents !
Notre hôte me demande si je désire voir l'écurie. Bien sûr que oui ! Et nous crapahutons sur un petit sentier qui s'enfonce d'une bonne centaine de mètres dans la forêt vierge. Nous y voici, mais il ne reste plus guère de l'écurie qu'un abreuvoir taillé dans la pierre et envahi par la végétation.
Mes pensées vagabondent et remontent le temps…
Presqu'un siècle auparavant
En avril 1914 Yersin se rend en excursion dans le massif montagneux qui domine la plantation de Suoi Giao. Il est accompagné par Armand Krempf, zoologiste, qui recherche des moustiques pour étudier le paludisme, Yersin pensant y trouver de nouvelles espèces d'orchidées sauvages. Il est immédiatement séduit par un vaste plateau, à flanc de montagne, à près de 1.500 mètres d'altitude. De plus, la vue sur la vallée de Nha Trang et sur la mer y est superbe. Après cette première exploration, il y retourne très vite : " Si les aéroplanes étaient plus pratiques, il ne faudrait pas une heure pour se rendre sur notre plateau, où nous arrivons péniblement en 5 jours avec les moyens actuels " écrit-il peu après à sa sœur en Suisse. Ce périple lui demande en effet 2 jours en sampan pour remonter la rivière, puis 3 jours d'escalade.
Désormais la décision est prise : il va en ce lieu installer une station d'altitude, avec l'intention d'y acclimater fleurs, légumes et arbustes importés d'Europe. Mais il lui faut d'abord quelque chose de plus confortable qu'une tente pour y séjourner et il décide de faire construire un chalet, et pour y accéder, une route.
En 1917, ayant reçu un prix de l'Académie des Sciences, il investit la somme augmentée de quelques économies personnelles dans la création de cette voie d'accès : Nous avons déjà en construction la route principale […] sur laquelle on peut circuler (à pied) sur une distance de près de 20 km. Nous arrivons ainsi au pied d'un des massifs principaux : le Hòn Bà, sur les flancs duquel nous allons maintenant nous élever par un chemin en lacets. Prochainement et selon nos ressources, nous élargirons la route et la rendrons carrossable.
L'année 1918 voit la création de jardins pour étudier les possibilités d'acclimater fleurs et légumes : J'ai déjà pu me rendre compte que la terre devra être travaillée pour être rendue propre au jardinage. En même temps, c'est la mise en chantier d'un deuxième chalet. A la fin de l'année, la guerre se termine en Europe, les liaisons maritimes reprennent plus régulièrement.
Yersin demande alors à sa sœur de lui envoyer des graines de la petite gentiane bleue des Alpes, ainsi que des graines de myrtilles. On peut imaginer à travers cette requête un brin de nostalgie de son pays natal. Puis viendra le tour des légumes qu'il veut essayer de faire pousser là-haut : pommes de terre, haricots verts, choux-fleurs, etc, ainsi que de nouvelles fleurs : dahlias, verveines, violettes, pétunias , amaryllis, ainsi que des arbustes : théiers, cannelliers et quinquinas (la quinine étant devenue un médicament très recherché pour lutter contre le paludisme). De son élevage de poules de Nha Trang, il sélectionne des espèces métissées, plus vigoureuses, et les installe au Hòn Bà. Mais Nous avons aussi des sales bêtes (fouines ou renards ou belettes) qui font la guerre aux poules.
Le premier chalet est complètement achevé en 1919. Il est confortable et Yersin voudrait pouvoir en faire son habitation habituelle. Il y passera en effet 15 jours par mois pendant de nombreuses années. Le climat y est plus supportable qu'à Nha Trang, où sévissent de temps en temps de violents typhons très dévastateurs. Toutefois, en altitude, la météo est parfois beaucoup plus rude que dans la vallée. En hiver Il pleut tous les jours et l'on vit dans un brouillard épais qui n'est autre chose que les nuages chassés par le vent du nord. On peut rester ainsi jusqu'à 15 jours de suite sans apercevoir le soleil, ni l'horizon à plus de 50 mètres !
Au cours des années 1920 et 1921, le site se voit doté de tout un équipement de TSF qui permettra à Yersin, après maintes difficultés de réglages, d'entrer en communication par signaux morse avec la plantation de Suoi Giao et l'Institut de Nha Trang. A la même époque, il fait aménager un bélier hydraulique lequel prélève de l'eau d'un torrent situé 100 mètres en contrebas et l'élève jusqu'aux plantations aux fins d'arrosage pendant la saison sèche. C'est aussi l'époque où il fait monter et installe au Hòn Bà un groupe électrogène accompagné d'accumulateurs pour obtenir la lumière électrique dans son logis.
Les tentatives d'acclimatation de l'arbre à quinine se poursuivent, mais avec difficultés. L'humidité est telle, en hiver que beaucoup de plants pourrissent et que d'autres sont attaqués par les moisissures . Il semble aussi qu'il ait eu l'intention de faire monter au Hòn Bà des chars à chenilles, semblables aux fameux tanks, mais moins lourds et aménagés en tracteurs agricoles. (Par la suite on ne trouve plus guère mention de ce projet).
Le tourisme s'y développe
C'est au cours de l'année 1922 que Yersin entreprend la construction d'un petit chalet pour les visiteurs, puis il faudra construire une maison plus grande pour la famille Gallois qui vient passer chaque année quelques semaines au Hòn Bà pendant la saison chaude. (Robert Gallois est à cette époque économe à l'Institut Pasteur de Nha Trang).
Toujours intéressé par les nouvelles techniques, il achète et installe des appareils radiotélégraphiques destinés à capter les grands postes radio européens
si bien que J'entends très bien Bordeaux toutes les nuits à 3 heures du matin. […] mais il faut une très grande habitude pour bien lire au son.(signaux morse)
Mais Yersin vieillit. En 1923, alors âgé de 60 ans, il écrit : Je grimpe moins allègrement qu'autrefois et j'arrive au sommet passablement exténué. De nouveau poussé par la curiosité il se lance dans l'étude de l'électricité atmosphérique .
Puis, au cours d'un voyage à Paris au début de 1924, il décide de transporter en Indochine et de faire monter au Hòn Bà un taureau et deux vaches bretonnes. Mais je suis un peu anxieux du transfert de ces animaux, par chemin de fer de Saigon à Nha Trang, puis par la route de Nha Trang au Hòn Bà; il y aura là pour eux, un moment pénible à passer.
Malheureusement les deux vaches meurent à Suoi Giao de piroplasmose. Elles seront bientôt remplacées, chaque semaine, par 2 ou 3 vaches annamites en chaleur qui seront saillies par le taureau, ce qui devrait donner, à plus long terme, une trentaine de demi-sang. Puis ce sont deux taureaux de races bretonne et tarentaise qui agrandissent le troupeau. Nous avons déjà un certain nombre de jeunes veaux métis de ces deux taureaux.
Les médiocres résultats donnés par la culture des cinchonas au Hòn Bà poussent alors Yersin à faire d'autres essais sur la colline de Dran, c'est pourquoi on le voit moins souvent dans son chalet dès la fin de 1926. Enfin ce seront les plantations de Djiring, Dioum, et du petit Lang Bian, sans compter Suoi Giao et l'Institut de Nha Trang qui lui demanderont de plus en plus de temps de présence. La dernière lettre à sa sœur Emilie écrite depuis le Hòn Bà est datée du 14 mai 1928. Dès lors, les séjours qu'il y fera seront de plus en plus brefs et de moins en moins fréquents.
L'était un vieux chalet.
Que sont devenus aujourd'hui ces bâtiments, vergers, jardins, poulaillers, écuries, étables et autres installations ? Les intempéries, la guerre n'ont laissé que très peu de traces de tout cela. Le chalet lui-même a été détruit, mais dans un souci de réhabilitation du site Le Comité populaire de la province de Khanh Hoa a décidé de restaurer la résidence du microbiologiste Alexandre Yersin. […] A cet effet la province a investi environ 81 milliards de dongs (plus de 5,2 millions d'USD. (AFP – 19/02/2003). C'est maintenant chose faite, même si la route d'accès est souvent victime d'éboulements. Le site devient peu à peu un but de promenades touristiques, et même de brefs séjours, si l'on s'équipe correctement (nourriture, couchage, chauffage) pour des jeunes gens amateurs de découvertes.
De retour au chalet, nous constatons que les gardes ont aménagé tout près de l'entrée, un petit potager qui leur permet de consommer des légumes frais. Il y a aussi une citerne destinée à recueillir l'eau de pluie. Bref, presque tout le confort !
Notre hôte s'absente un instant et revient m'offrir un petit pot de terre cuite trouvé en fouillant les fondations de la maison. C'est vraisemblablement un de ces pots que Yersin utilisait pour faire germer ses graines d'importation. Un très joli cadeau qui me va droit au cœur !
Puis c'est la séance photos traditionnelle et bientôt le départ. Nous sommes très émus en quittant ces jeunes gens si accueillants. Il nous faut maintenant dévaler les nombreux lacets de la route, retrouver notre voiture, et rejoindre Nha Trang. toujours en compagnie de notre fidèle guide Trung, lequel nous dira peu après : Vous êtes des touristes spéciaux qui m'ont permis de découvrir ce site !.
Un sommeil réparateur nous sera nécessaire pour être présents, dès l'aube du lendemain 1er mars, à Suoi Giao, sur la tombe d'Alexandre Yersin, afin d'assister à la cérémonie officielle de la commémoration de la mort de mon grand-oncle.
Daniel Minssen (mars 2012)
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OllO (mardi, 03 avril 2012)
Bonjour,
j'ai arpenté en scooter la « montagne de la déesse » pour me rendre à Hon Ba et visiter la maison du docteur Yersin. Une ballade agréable d'environ 2H30 ou il faut patienter lors de l ascension d'une trentaine de kilomètres, le temps apprécier le paysage en traversant au départ des bananerais,et ses cultivateurs locaux edans leurs habitations typiques pour ensuite arriver un peu plus haut "la tête dans les nuages". La température chute d'une dizaine de degrés pour atteindre 20-25 degrés. Arrivé au sommet qui est d'ailleurs la fin de la route, vous pourrez admirer sous un climat sub-tropical humide une nature luxuriante avec des fougères.Une sensation de fraicheur agréable,une vue imprenable sur la vallée , vous prendrez le temps de visiter tranquillement cette maison en bois exotique reculée de tout ou le Docteur Yersin vivait reculé.Vous avez la possibilité de dormir dans 5 gites pour 15'20 dollars la nuit.